Romantisme aux oubliettes

Avec Portrait de Lorenzaccio en milicien, paru le 4 mars, Antoine Billot livre une version très sombre du héros de Musset. L’intrigue, qui se déroule initialement à Florence au XVIème siècle, est déplacée dans le contexte de l’Occupation en France.

On finit par oublier que son véritable prénom est Lorenzo. Dans la langue de Dante, rajouter le suffixe « -accio » à ce prénom, celui du héros d’Alfred de Musset, en fait un terme dégradant. C’est toute la destinée dramatique de Lorenzaccio. Personnage romantique de la pièce de théâtre éponyme, il donne volontiers sa vie pour mettre un terme à coup de poignard au règne tyrannique de son cousin, le despote florentin Alexandre de Médicis. Mais il est aussi un être désabusé, détesté du peuple, et compagnon de débauche de celui qu’il assassine. Le geste de Lorenzo, du reste, se retourne finalement contre lui : il n’en fait pas un tremplin vers l’instauration d’une démocratie, pour laquelle ni les grandes familles florentines ni le peuple ne semblent prêts, et se fait tuer à son tour.

Dans Portrait de Lorenzaccio en milicien, qui transpose la célèbre pièce de Musset dans le contexte de l’Occupation, Antoine Billot, auteur notamment de Monsieur Bovary et de La Conjoncture de Syracuse, reprend l’essentiel des thèmes du drame. Le héros sans illusion, faire-valoir forcé d’un homme qu’il hait. La tyrannie absurde et monstrueuse. Les différents degrés de complicité face au pouvoir en place. Le Lorenzaccio de Billot est, dans cette version, un milicien aux ordres, non pas de son cousin, mais de son oncle, un préfet collaborationniste, dont les sbires arrêtent, torturent et tuent à tour de bras.

Avec malice, Billot glisse des éléments du texte de Musset dans son propre récit. Il reprend le nom de certains personnages, comme Strozzi, l’un des résistants. Et reproduit même la fameuse scène du duel, durant laquelle Lorenzo s’évanouit avant de combattre. Le duc Alexandre de Médicis parle alors par la bouche de l’oncle : « Laurent, un subversif ? Pourquoi pas un résistant pendant que vous y êtes ? Le plus fieffé poltron, oui ! Une femmelette ! Un rêveur qui marche jour et nuit sans arme de peur d’en sentir la froideur métallique à son côté et de fléchir sous son poids ! » Lorenzo est devenu Laurent, le pistolet a remplacé l’épée, mais la scène est identique.

Effrayante modernité des personnages

Reste que Billot a ajouté une effrayante modernité au caractère des personnages, et va nettement plus loin que la pièce de théâtre dans la description de la débauche à laquelle se livrent les vainqueurs et les collaborateurs. Le vingtième siècle apporte à l’œuvre revisitée de Musset toute son horreur : l’Occupation, bien davantage que la dictature des Médicis, semble libérer les pulsions enfouies au plus profond de l’âme humaine. La scène où Laurent espionne son oncle, aux prises avec une détenue, ou les bacchanales monstrueuses organisées au sein même de la préfecture, attestent infiniment plus d’une violence orgiaque omniprésente que les frasques du monarque florentin.

Surtout, Billot choisit de détacher totalement ses personnages de tout idéal, noble ou indéfendable, quand ceux-ci caractérisaient malgré tout les personnages de Musset. Seuls les plus bas instincts humains semblent façonner les destins dans ce Portrait de Lorenzaccio en milicien. C’est l’amour de la jouissance qui provoque la folie meurtrière de l’oncle. Et c’est la haine aveugle qui pousse Laurent dans les bras de la milice, après que son amie l’a trompé avec un homme engagé dans la résistance.

Même sa rédemption est guidée par des sentiments pour une autre femme. Ce « remake » fait fit du romantisme qui caractérisait le héros dépravé de Musset. Laurent, ici, est largement dénué de son ambiguïté initiale. Un personnage détestable. Bien davantage le lâche qui refuse de tirer l’épée que l’illuminé déclamant après son meurtre : « Que la nuit est belle ! Que l’air du ciel est pur ! Respire, respire, cœur navré de joie. »

Portrait de Lorenzaccio en milicien, Antoine Billot, chez Gallimard (L’un et l’autre), 189 pages, 18 euros prix Fnac.

A lire aussi sur Retour d’actu : la critique de Guy Debord et Daniel Pennac sur scène

D’autres critiques littéraires sur Retour d’actu

Crédit photo: kevindooley / Flickr

Ce contenu a été publié dans Nos critiques, avec comme mot(s)-clé(s) , , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *