Merci, madame Alliot-Marie

Nous devons beaucoup à MAM : grâce à ses gaffes d’une ampleur historique, nous pouvons faire le deuil d’une certaine idée de la démocratie.

Heureusement que MAM est là. A travers ses multiples déclarations contradictoires, ses coups d’éclats concernant ses voyages en Tunisie et sa proposition au dictateur tunisien Ben Ali du savoir-faire français de gestion des situations sécuritaires, son coup de fil bien mais pas top à Ben Ali pendant ses vacances, elle nous permet d’abandonner nos rêves de démocratie irréprochable. Finalement, nous avions encore beaucoup trop d’espoir dans la réussite de la vie en communauté, dans la réalisation d’une société reposant, tant bien que mal, sur un socle de valeurs communes. Après les affaires Woerth, Hortefeux, et consorts, l’affaire MAM vient couronner le tout, nous n’avons plus à croire en grand chose et c’est un grand bien.

Un jet, et ça repart !

MAM, ministre d’État du pays que nos ancêtres appelaient la « patrie des droits de l’homme » nous a fait basculer dans la modernité, un monde idéal où il n’y a plus de révolutions puisqu’elles sont étouffées dans l’œuf par un savoir-faire sécuritaire, un monde magique où un ministre peut se déplacer sans rien payer, passer des vacances de luxe sans avoir la désolante obligation, indigne de son statut, de prendre un avion de ligne, bénéficier des services d’un homme d’affaires étranger tout en pouvant continuer d’exercer son modeste métier de ministre des Affaires Étrangères de la cinquième puissance – nucléaire – mondiale.

Souvenons-nous, il y a seulement quelques semaines, nous abhorrions cet ignoble Louis-Ferdinand Céline, antisémite patenté, qui écrivait que le monde n’était qu’une vaste entreprise à se foutre du monde. Nous nous disions qu’avec des gens comme ça, l’on ne tirait pas dans le bon sens. Grâce à MAM, nous nous foutons aujourd’hui de tirer dans le bon sens et nous comprenons mieux ce que voulait dire Céline.

MAM n’a « jamais menti », rien que ça

MAM a dit qu’elle se rendait compte qu’elle avait pu choquer des gens en utilisant à deux reprises le jet d’un membre de l’entourage de Ben-Ali. Mais Madame MAM est trop bonne : c’est nous qui nous excusons d’avoir été choqués, tant Madame est de bonne foi, honnête, pure et parfaite, elle qui n’a, comme elle l’affirme, « jamais menti », Madame qui ne voit pas en quoi son geste serait « répréhensible », Madame qui dit qu’elle « ne recommencera plus, puisque ça choque », qui estime ne plus être ministre lorsqu’elle est en vacances, et tout cela est surévident, surdéfendable, surcompréhensible, tout le reste n’étant que le résultat d’une cabale médiatique immonde menée contre Madame, bien entendu, venant du PS, du PC, du parti de gauche, de la Gauche dans son ensemble, bien entendu, du chiffon rouge, des médias, certainement, et pourquoi pas des manifestants tunisiens et des misogynes du monde entier, on y vient.

Heureusement pour la liberté, MAM est surprotégée : nous ne sommes plus à la basse et ennuyeuse époque où le peuple pouvait se rebeller et demander avec fureur la tête de ses dirigeants.

MAM, ministre des Affaires Étrangères aux Français

La vérité ? Nous l’acceptons dans toute sa cruauté : ceux que l’on appelle les « Français » n’intéressent personne. Pas plus que les « Tunisiens », les « Égyptiens » n’intéressent quiconque. Nous proposons donc de nommer MAM ministre des Affaires Étrangères aux Français, et même Étrangères aux Peuples du Monde, pour avoir si clairement signifié que dans son esprit, notre ressenti n’avait qu’une place ultra-relative.

Pour finir, adressons nos sincères félicitations à celui sans qui tout cela n’aurait pas pu arriver : Nicolas Sarkozy, défenseur acharné de la République irréprochable, qui a l’insigne honneur de présider un gouvernement historiquement reprochable qui aura permis à des tas de naïfs comme nous de progresser dans le cynisme, de vaincre leurs derniers démons humanitaires, de se désolidariser de l’immonde optimisme civilisateur et fédérateur vanté par notre très critiquable siècle des Lumières, de se débarrasser comme d’une vieille peau de notre volonté de participer à un monde qui ne soit pas le plus minable des mondes.

Crédit photo : MAM par Alain Bachellier / Flickr

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