Notre société n’a pas résorbé sa violence

Forces policières par Alain Bachelier Retour d'actu« Horreur » : c’est le terme qu’emploient les médias pour qualifier la tuerie de Toulouse. Celle-ci nous rappelle qu’aucune société, si précautionneuse soit-elle, ne peut espérer échapper à ce genre de drame incontrôlable.

L’affaire Agnès, largement instrumentalisée par le pouvoir politique, avait choqué l’opinion publique. La tuerie de l’école juive Ozar-Hatorah a un écho encore plus fort, parce qu’elle intervient en pleine campagne présidentielle, et parce qu’elle visait des enfants particulièrement jeunes. Trois écoliers et un adulte ont payé de leur vie l’acte de celui qui peut être un intégriste ou un fou isolé.

On ignore pour l’heure tout de lui ou presque, mais qu’importe pour l’instant. La question de l’identité du « tueur à la caméra » est encore secondaire pour les médias. La France n’en est pas à réclamer justice ou vengeance. Très logiquement, elle est sous le choc. A tel point que de multiples hommages ont eu lieu un peu partout dans le pays. A tel point également que la campagne des candidats a été provisoirement mise entre parenthèses. Quoique l’on pense de l’attitude des prétendants à l’Élisée (hypocrisie ? Syndrome de victimisation excessive ?), elle montre l’impact que peut avoir une démonstration de froide violence sur le cours « normal » des événements.

Apaisement politique et social

Curieux, car ce type d’acte n’est au fond… pas si rare. Combien de fois a-t-on lu qu’un déséquilibré avait violé ou tué, y compris (et même souvent) au sein de sa propre famille ? Pourtant, le fait-divers tragique continue de surprendre. D’estomaquer. La raison est en sans doute que la violence est souvent considérée comme « passée de mode » dans nos démocraties occidentales. Depuis quelques décennies, celles-ci ont pris l’habitude de porter les conflits sociaux et politiques au sein d’une arène pacifiée, et de tempérer les pulsions sociales. Elles ont sécurisé le champ public autant que possible. Un coup de poing à travers la gueule ou une insulte lancée trop publiquement sont systématiquement qualifiés de « débordements » et traités comme tel. Et après tout, qui s’en plaindrait ?

Il n’y a encore pas si longtemps au regard de l’histoire, il n’était pas rare du tout qu’une manifestation dégénère et provoque de véritables affrontements, mortels ceux-là. Ainsi, pas si éloignée de nous, la fameuse journée des ligues du 6 février 1934… Les forces de l’ordre ouvrent le feu sur les manifestants, faisant une quinzaine de morts. Souvenons-nous par ailleurs des grands boulevards parisiens, initialement conçus très larges pour que la cavalerie puisse y charger… On pourrait, sans trop remonter dans le temps, multiplier les exemples, et conclure qu’il est sain de vivre dans une société apaisée. Celle-ci s’est efforcée, au cour du vingtième siècle, de ne plus se manifester par la force brutale. Elle a développé la notion du respect de l’opposition sociale ou politique.

La résorption totale de la violence est impossible

Ces valeurs n’ont évidemment pas été conquises par seule bonté d’âme. Pour autant, elles sont essentielles au vivre-ensemble, en ce sens qu’elles canalisent l’instinct naturel d’affrontement. Mais sans doute nos sociétés, désormais habituées à cet apaisement, le confondent-elles avec une résorption totale de la violence. Cela est bien évidemment totalement hypothétique.

Dans son roman Ravage, René Barjavel imagine une civilisation mécanisée et totalement aseptisée, de laquelle crime et délit sont absents. Mais il s’agit de science-fiction. Qui peut croire qu’une société serait à même d’exclure toute forme de violence de ses fondements ? Ceci ne tient en rien à un niveau de développement, ou à une évolution politico-sociale. La violence est inhérente à l’humain. Elle peut être contenue, anticipée, maîtrisée dans une certaine mesure, mais jamais totalement bannie. L’affaire Breivik, en Norvège, l’a bien montré : même une civilisation considérée comme un exemple de démocratie sociale peut être frappée par l’accès de violence d’un de ses membres.

Autre exemple, en France, et beaucoup plus récent : la triste affaire de cette jeune fille nantaise tuée de plusieurs coups de couteau, dont le corps a été retrouvé lundi… Certes, cette affaire-là n’a pas bénéficié d’un traitement médiatique d’ampleur. Elle n’a pas non plus reçu les honneurs des politiques. Pourtant, elle rappelle que les morts violentes, les meurtres et les assassinats existent encore, y compris là où tout est fait pour assurer notre sécurité. Nantes n’est pas une ville particulièrement connue pour sa délinquance.

Certes, après les faits, le deuil et la compassion sont nécessaires. Mais se réveiller stupéfié, presque groggy de la tuerie de Toulouse n’a guère de sens. Quel que soit le niveau d’apaisement social, il se trouvera toujours quelque part quelqu’un capable de prendre une arme pour une conviction politique, religieuse, ou tout simplement par folie furieuse, et quelqu’un d’autre pour en payer le prix, même à l’endroit où l’on s’y attend le moins. En la matière, on devrait savoir depuis longtemps que le « plus jamais » n’existe pas. Quelles que soient les précautions que l’on prenne, quelles que soient les politiques que l’on applique, des plus répressives aux plus laxistes, il y aura immanquablement d’autres affaires Agnès et d’autres tueries de Toulouse. Croire que l’on pourrait totalement résorber la violence relève malheureusement d’une douce illusion.

Crédit photo : Alain Bachellier / Flickr

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