Les réactions (sur-)passionnées des politiciens au drame de Toulouse nous le rappellent : notre démocratie populaire s’est transformée en un sinistre concours de la meilleure victime.
Un massacre, dans nos démocraties, c’est presque une bonne nouvelle. Une chance à saisir. Pour qui ? Pour les politicards de tous bords, et pour toutes les communautés qui peuvent enfin raviver leurs querelles sur du concret : des cadavres encore tout chauds.
Certes, le drame est particulièrement atroce. A Toulouse, un homme a ouvert le feu sur des enfants. Fort logiquement, tous les moyens ont été mis en œuvre pour l’arrêter. Une histoire terrible, mais une histoire comme il y en aura toujours. Dans trois siècles, quelles que soient les politiques de sécurité mises en œuvre, on connaîtra des tueries de ce type. Et, faut-il le rappeler, une société dans laquelle il serait impossible qu’elles arrivent ne pourrait être qu’absolument totalitaire. Par ailleurs, vu les tensions qui traversent actuellement la société française, qui pourra dire qu’il est sincèrement étonné par l’occurrence de ce genre de méfaits ?
Guéant, ce grand affectif, « submergé par l’émotion »
Mais ce qui finit par nous étonner, nous préoccuper puis carrément nous dégouter, ce sont les manières avec lesquelles tel ou tel clan ou porte-parole profite de l’émotion qui découle d’un tel fait divers pour l’intégrer à un schéma de pensée massif.
Exemples ? Des dizaines… Commençons par Claude Guéant, qui n’a pas vraiment pour réputation d’être un tendre : il s’est dit « submergé d’émotion ». N’en fait-il pas un peu trop ? Quand il s’agissait pour lui de taquiner les communautés des roms, des comoriens ou des immigrés, il devait admirablement la cacher, sa grande faille émotive. D’autre part, lorsque l’on est un responsable important d’un pays comme la France, ne faut-il pas avoir les nerfs un peu plus solides ? Imaginerait-on un directeur d’hôpital fondre en larmes parce qu’il apprend qu’une famille est morte dans son établissement à la suite d’un accident de voiture ? Bien sûr que non. Et, si c’était le cas, il devrait le cacher. C’est à cela que sert un responsable : rendre visible un « au-delà de ». Montrer qu’il n’y a pas, partout, qu’une foule de gens remplaçables aux ressentis équivalents.
Il est bien évident que nous ne savons plus ce que signifie, aujourd’hui, la responsabilité. Le courage que cela implique. La hauteur de vue. On va baigner dans les basses-cours de l’électorat commun. On capte du ressentiment primitif. On mélange nos larmes à celles du tout-venant. Et un jour, ce tout-venant étant à bout et tout puissant, on fera massacrer des gens pour lui plaire. C’est du moins ce qui est écrit dans les livres d’histoire.
Au royaume des victimes, les compatissants sont rois
De la même manière, Sarkozy a sauté sur l’occasion et a pris le premier avion pour Toulouse, suivi par Hollande. Le sang des gamins n’a pas encore séché qu’on vient déjà capitaliser des voix. C’est tout simplement indigne. Que le maire de Toulouse se déplace, c’est évident, nécessaire. Le président de la Région, à la limite. Mais au-delà, c’est le carnaval, le défilé, cela n’a plus aucun sens ; les responsabilités se confondent, se dissolvent, et finalement tout le monde se retrouve, un peu ridiculement, à faire le même discours indigné pour calmer des parents évidemment bouleversés. Un chef d’État d’un pays en guerre n’a-t-il pas d’autres chats à fouetter que de gérer le cas d’un dégénéré comme la race humaine en produit cent mille par an ?… N’est-ce pas lui donner trop d’importance ? Bien sûr que si, c’est lui servir sur un plateau ce qu’il demandait : de l’attention.
Étrange complicité du déséquilibré et des élites. Mais il semble que les morts nous excitent. Les gens de tous bords ne savent plus se retenir, face à elle, et c’est à ce genre de détails que l’on repère le nihilisme contemporain. C’est peut-être la seule chose qui fasse encore parler avec passion, les morts, les drames, les tueries, à une époque où plus personne ne s’enthousiasme plus de rien. Il y a un frétillement très caractéristique au moindre fait divers. Quand, soudainement, un type rend visible ce que l’époque a dans le ventre. Toutes ses tensions, ses non-dits, sa haine rentrée. La face cachée du médiatique paradisiaque : le médiatique infernal.
Vic-ti-mi-sez-vous !
D’où le fait d’en rajouter allègrement dans l’hypocrisie. Dans les propos bienfaisants pour, précisément, cacher le goût pervers de la foule pour l’horreur (Guy Debord a rappelé à quel point les démocraties modernes avaient besoin du terrorisme comme d’un repoussoir). Fillon annule un déplacement. Marine Le Pen fait reporter un show télévisé. Le PS suspend sa campagne. Sarko parle de « tragédie nationale ». Tous d’accord, pour une fois, quand il s’agit de communier sur des fantômes. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel l’a même précisé : aucun temps de parole ne sera décompté durant deux jours lorsque les politicards parleront du drame de Toulouse. Le Japon en avait sûrement fait autant après Fukushima.
Tout cela nous rappelle une bien triste vérité : aujourd’hui, toute personne voulant être prise en considération doit se faire victime. Et les politiciens ont tellement bien intégré cette donnée qu’ils donnent l’assaut au moindre fait divers. Indignez-vous ? Mais non : Victimisez-vous !
Le résultat est indéniable : à chaque strate de la société, on n’encourage personne à être, un tant soit peu, à la hauteur du défi de l’existence (c’est même devenu provocant de le faire remarquer). L’individu n’éveille plus d’attention autrement qu’en tant que composant remplaçable d’un groupe quelconque, et le spectacle que nous donne le social sont les constantes gué-guerre entre groupes de victimes. D’une certaine manière, c’est encore plus grave que le fait divers en lui-même. Et c’est certainement là l’un des éléments qui encouragent certaines personnalités fragiles à commettre ce genre d’actes.
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